Comme échappée d’un foulard imprimé, une plante inconnue et stupéfiante déploie ses feuilles piquantes. Anna Zemánková a réalisé, vingt-cinq ans durant, une série ininterrompue de dessins autour d’un même thème, celui d’un monde de faune et de flore hybride. Comme les multiples pages de l’immense herbier d’un jardin aux merveilles.

La structure végétale de cette fleur, à l’allure presque carnivore, est découpée dans un morceau de satin, colorée à l’encre et au pastel. Trois feuilles, en forme d’as de pique, lui donnent cet aspect incisif. Elles semblent se balancer au bout de leur tige flexible et articulée comme des points cardinaux. La fleur, comme une lourde grappe, pèse de tout son poids vers la partie inférieure du dessin. L’effiloché du tissu donne aux multiples pétales un rendu qui tient du trompe-l’œil. L’artiste signe de son nom à l’extrême pointe d’une feuille, en bas à droite.
Anna Zemánková suit un mode opératoire, précis et mécanique, pour donner vie à ces milliers de fleurs qui ne poussent nulle part, pour reprendre ses propres mots. Ses œuvres, dont les dimensions réduites se miniaturisent au fil des ans sous l’effet de sa maladie, sont toujours réalisées entre quatre heure et sept heure du matin. Selon un rituel bien établi, elle dessine tous les jours, portée par le rythme des concertos de Bach ou Beethoven. Ce qui explique peut-être en partie le caractère vibratoire de sa création. La répétition systématique des motifs en spirales, arabesques, hachures… produit sur la rétine un effet hypnotisant. Comme les planches d’un ouvrage de botanique, les suites de végétaux inventés par l’artiste, sont plaquées sur un fond neutre, sans trame de fond. Une rigueur quasi scientifique lui sert de base pour déployer un imaginaire prodigieux aux confins de l’abstraction. Les œuvres n’ont jamais de titre et les motifs jamais de référentiel scientifique. Ce sont des éclosions mentales. Le LaM, musée d’art moderne, contemporain et d’art brut de Lille-Villeneuve d’Ascq, conserve dans ses collections un bel ensemble de dessins de l’artiste. En 2017, une rétrospective lui a été consacrée à la Collection d’Art brut de Lausanne.